Author: Soune

Pensive au bord du lac et seule sous la lune
Tu soupires en pensant à ta vie d’autrefois,
Te souviens t’être dit qu’elle ne t’agréait pas,
Avoir rêvé souvent de changer de fortune ;

Puis tout a basculé dans un monde à merveilles
Tu as passé la porte en un instant subit
Et les elfes et leur cour sont entrés dans ta vie,
– Ton passé s’est enfuit comme un songe à l’éveil –

Tu as cru tout d’abord, et ton coeur s’est réjoui,
Pouvoir les admirer, leur beauté, leurs atours,
Leurs transformations, leur magie, leurs discours
Et emplir ta raison des traits de leurs esprits

Mais sitôt qu’ils t’ont vue, ce rêve a éclaté ;
Car tu es le daim blanc : tous brûlent de te prendre
Ils guignent le pouvoir qui naîtra de tes cendres
Si tu ne parviens, toi, à le faire s’exprimer.

Depuis tu dors le jour à l’abri des marais
Et tâches dans la peur, de la brune à l’aurore,
De déployer des dons qui se cachent encore,
Redoutant en silence qu’ils n’éclosent jamais.

Novembre est là – le vent
Est devenu glacial ;
Il s’engouffre en rafales
Jusque dans mes tympans –

Le ciel est clair et bleu
Alors que vient le soir
Qui tendre, le chamarre
De nues couleur de feu.

Les perles de rosée
Sur le sol des chemins
Exaltent le parfum
De l’humus qui se crée ;

Si la nature verdoie
Ardente après l’averse
Des taches la traversent
De pourpre dans les bois.

Les bourrasques s’égaient
En vives farandoles
Et dans leur courses folles
Font chanter les forêts.

J‘ai le coeur gros, j’ai le coeur lourd
Et si j’ai cessé de pleurer
Depuis trois ans, jour après jour,
Tu ne cesses de me manquer.

Non loin de l’océan il se trouve un endroit
Dont on parle bien peu mais qu’on évite encore
Où nulle fleur sauvage ne parvient à éclore
Et où nul animal ne porte plus ses pas :

Là bas, les membres tremblent et les os sont gelés
Sous les sursauts rageurs de l’air qui se déchaine
Et frappe sans relâche pour arracher l’haleine
Des corps qui se faufilent entre les rocs dressés

Pourtant l’air était doux dans le petit vallon
Les feuilles et les fleurs des vergers séculaires
Apportaient aux flâneurs une ombre salutaire ;
La brise l’éclairait de ses ondulations.

Les hommes ont investi alors ces doux coteaux
Et ils ont érigé en cercle dix menhirs :
Les pierres en tombant piégèrent le zéphyr
Qui prenait au soleil un instant de repos.

Depuis il se débat et hurle sans répit,
S’évertue à briser le cromlech qui le blesse,
Dans ses tourments il pense à ses bourreaux sans cesse
Et, furieux captif, les blâme et les maudit.

« Votre corps tout entier subit les agressions
De vos esprits malades, de ces tristes complexes
Qui portent aux cellules, en un effet réflexe
L’angoisse qui produit la multiplication.

« Partant, travaillez sur vos conflits intérieurs :
Rasez ces sentiments d’infériorité
Et vous aurez tout lieu de vous féliciter
Quand de votre cancer vous sortirez vainqueur !

« Pour parfaire votre cure, il est recommandé
La consommation de dioxyde de chlore,
D’amygdaline aussi, mais d’autres soins encore
Fournis au sein de nos centres spécialisés

« Fuyez sans délai ceux qui voudraient vous faire croire
Que vaincre les tumeurs incombe aux médecins ;
Récitez le pater – mais en araméen –
Et plusieurs fois par jour, priez la vierge noire !

« On pourrait estimer nos jeunes thérapies
Onéreuses parfois obscures ou bien lentes
Mais tenez éloignées ces pensées imprudentes :
Vous conviendrez je crois que rien ne vaut la vie »

L’espoir provoqué par ces promesses orales,
Ces traitements qui sont tant de jours de perdus
Mensonges édictés d’une voix convaincue,
Se maintient alors que se multiplie le mal

Et lorsque les yeux s’ouvrent il n’est souvent plus temps :
Ainsi pourquoi cesser un commerce menteur ?
Assurément, il n’y a pas lieu d’avoir peur
D’actions en justice menées par des mourants.

Sur le gris du béton, dans sa toilette sombre,
Un visage laiteux saisissait le passant
Qui derrière les pompiers qui s’affairaient en nombre
Pouvait apercevoir des doigts sanguinolents ;

Ses iris délavés aux errances insanes
Marquaient un désarroi muet et impuissant
Et j’ai pu distinguer à l’arrière de son crâne
Une flaque écarlate allant s’élargissant.

Sous l’averse glacée, Mairead avait couru
Jusques aux grottes bleues, refuge temporaire,
Qui se trouvaient non loin du château de son père
A l’abri des fureurs de la Carnach en crue ;
Comme elle y grelottait, le Malin apparut.

Il surgit des parois dans un complet silence
Alors qu’elle essorait sa robe détrempée
Et ses jupons laissaient, à peine relevés,
Voir sa cheville à nu – candide impertinence
Qui exalta du traqueur la concupiscence.

Les yeux brûlants d’ardeur, il promit à sa proie
Si elle consentait à souffrir ses caresses
La jeunesse infinie, les plus grandes richesses !
Mais sans se laisser prendre aux charmes de sa voix
Elle disparu telle une biche aux abois.

De retour au foyer, son père la somma
De changer son habit, de mettre ses dentelles
D’appliquer tous ses soins à se faire plus belle
Et de venir saluer en s’inclinant bien bas
Le seigneur qu’il avait pour hôte ce jour-là.

Il était jeune et beau, son air et ses manières
Lorsqu’elle se pencha, lui souhaitant bienvenue
Le visage empourpré d’une crainte ingénue,
Etaient gracieux et calmes malgré son humeur fière
Mais un regard ardent filtrait sous ses paupières ;

Et alors que son père lui exposait son vœu
De l’unir à cet homme qui la voulait pour femme
Elle aperçu dans ses yeux durs l’abjecte flamme
Qui des enfers brûlants alimenta les feux,
Reconnu le démon sous la beauté d’un dieu.

Elle adjura longtemps, supplia sans répit,
Mais ses membres tremblants, sa voix rauque de pleurs
Ne firent pas dévier le choix de son tuteur
Qui craignant à raison qu’elle ne s’enfuie
La cloîtra jusqu’au jour de la cérémonie.

L’éther était limpide, le firmament radieux
L’heure précédant l’aube de l’union terrible ;
La vierge se dressa, les deux mains sur sa bible
Après avoir prié murmura un adieu
Et l’on crut voir un ange tomber jusques aux cieux.

Les décennies ont fui, des siècles ont coulé,
Le castel déserté est à présent en ruine
Mais dans les rocs fendus où fleurit la glycine
On peut quand le vent tombe entendre soupirer
Mélancoliquement la chaste fiancée.

Quand la brise caresse et rafraîchit ma peau
Chauffée par le soleil éclatant de l’aurore,
Ou si le ciel oscille entre l’azur et l’or,
Lorsque je suis charmée par le babil des eaux,

Si la pluie en tombant exalte le bouquet
De l’humus ou des roses que doucement j’effleure,
Lorsque je me sens vivre et que j’entends mon coeur
Cogner dans tout mon corps, l’éveillant comme un fouet,

Ces beautés, ces parfums, ces vives sensations
Que je cherche au possible pour chasser mes démons :
Pendant qu’elles m’animent, n’en profites tu pas ?

– Puisque depuis ta mort tu es toujours en moi,
Que mes pensées se lient constamment à ton nom,
Que tu vis en mes souffles et hante ma raison –

Mon grand Sam, ma Jaci,
Je vous envoie ce jour
Plein de pensées d’amour,
Mes deux amis chéris.