Elle avait de grands yeux brillants
A force de toujours pleurer,
La châtelaine d’Arzeliers ;
Ils mangeaient son visage blanc.

On les voyait pourtant bien peu :
Cloitrée, vivant dans la terreur
Des colères de son seigneur
– Indifférent et soupçonneux –

Fréquemment, elle s’évadait,
Allait cacher ses meurtrissures
Au ravin de la combe obscure
Ou jusqu’à l’église d’Upaix :

Elle fuyait les gens, le jour,
Fébrile, semblant hébétée,
Priant de n’être rattrapée,
Mais il la retrouvait toujours.

Un soir de pluie, sous un ciel jaune,
Son regard se fit pénétrant
Et elle entra en souriant
Dans les flots du torrent de l’Aune.

Je le ressens toujours dans un coin de mon cœur
Ce souvenir stérile, ce remord obsédant
Parfois, il se dévoile, intensément violent,
Et je m’effondre de douleur.

– Il a roulé de nuit, répondant à l’appel
De mes pleurs déchirants, de ma voix dévastée
Avec l’idée que le sentir à mes côtés
Rendrait ma peine moins cruelle ;

Je tremble dans ses bras, suffoquée de détresse
Prostrée de désespoir, captive en mon esprit,
Sidérée, tandis que l’homme que j’ai trahi
Murmure des mots de tendresse –

Je devrais parvenir à mieux le maîtriser
Mais mon chagrin se fait d’autant plus désolant
De porter toute seule depuis dix-huit ans
Le deuil du bébé que j’ai tué.

Quand le sommeil s’en vient – les nuits où il me prend
Tu envahis mes rêves sans que je l’aie souhaité,
Me frôles, me souris, me couvres de baisers,
M’amènes sur ton corps – et, vraiment, je te sens

En moi – tu viens combler mon ventre frémissant
Ou durcis dans ma bouche ; je savoure ta peau
Et enfiévrée essaie de calmer le tempo
De mon désir accru par tes gémissements.

Alors, je me réveille pour me remémorer
Ton visage fermé, plein de répulsion,
Et que mes sentiments ou mes émotions
Ne comptent plus pour toi, s’ils ont jamais compté.

Dans la brise du soir, l’engoulevent appelle.
Comme graduellement se propage la nuit
Son chant vibrant emplit la forêt assombrie
Et s’entremêle aux trilles de la locustelle.

Figée dans les ténèbres, je perçois les clameurs
Des moyens-ducs, des chevêches les cris perçants
Et je saisis parfois les légers grincements
Des chiroptères tandis que se trainent les heures.

L’alouette grisolle, le ciel s’éclaircit
Le merle noir enfin commence de flûter ;
Le cri du troglodyte qui vient s’y combiner
Ponctue et accompagne mes sombres rêveries.

Je me sens mal, perdue, abandonnée, brisée,
Assommée, humiliée, complètement trahie,
Méprisée, saccagée, isolée, démolie,
Anéantie, repoussante et désespérée.

Ma voix s’est enrayée ; tout le corps me fait mal.
Mon estomac en feu ne veut rien conserver ;
Je te revois toujours, brusquement étranger,
Insensible à ma peine, implacable et brutal.

Je voudrais tant ce soir m’endormir dans tes bras ;
Contempler longuement ton visage au repos,
– je ne m’en lasse pas – et caresser ta peau
Puis, en fermant les yeux, me lover contre toi.

T’entendre respirer, respirer ton odeur,
Sentir le battement de ton cœur sous ma main,
Mon front sur ton épaule, ton torse sous mes seins
Et m’assoupir enveloppée de ta chaleur.

J’aime les lourds parfums des forêts en été
– Exhalaisons d’humus, senteurs de conifères –
Mais ce soir j’ai envie d’aller dans la lumière
De respirer l’odeur de foin frais dans les prés,

Profiter posément de l’intense chaleur
Et sentir sur ma peau les rais du crépuscule
Tandis que les averses de la canicule
Exaltent les arômes du chèvrefeuille en fleurs.

Je l’ai vu cette nuit, assis à un bureau,
Par des tâches en cours pleinement absorbé,
Immobile, et j’ai pu un moment contempler
Ses cheveux, ses épaules, sa nuque et puis son dos ;

Je me suis approchée et, tendre, ai déposé,
Quelques baisers légers sur son cou qui me grise,
En un instant mes mains ont ouvert sa chemise
Et se sont promenées sur la peau exposée

Que ma langue et mes lèvres effleuraient de plus belle.
Son souffle saccadé, son odeur, m’enflammaient
Quand il m’a attrapé fermement le poignet
Et embrassé le bras, tranquille et sensuel,

Sa bouche musardant de ma main à mes seins…
– Le réveil a marqué le terme de la nuit :
Je me suis éveillée l’esprit gorgé de lui,
De ce songe entêtant, et depuis ce matin

Mon imagination ne cesse de courir :
Je le vois en pensée, rêve de tout son corps
De ses yeux, de ses mains, de l’enlacer encore
De goûter sa tendresse, savourer ses sourires –

Je veux sentir ses bras brûlants m’envelopper,
Mes doigts dans sa toison, ses cuisses sous les miennes,
Mon ventre ou bien mes flancs durcir sous son haleine,
Et doucement caresser son sexe gonflé.

Je me souviens encor de ce lit, de ces murs,
Qui ont vu flamboyer mes passions juvéniles
Et la nuit alourdie de soupirs, de murmures,
Où nos amours furent fertiles

Je me rappelle du bonheur tout hormonal
Qui m’inondait dans ces heures ou désemparée,
Navrée, perdue dans des raisonnements bancals
J’ai tant désiré continuer

Je me souviens de la détresse et la douleur
Accompagnant les flots continus de mon sang
Dans lesquels sont parties tandis qu’hurlait mon cœur
Les cellules de mon enfant

Je me souviens de cet isolement terrible
Où mes déchirements se sont cristallisés,
Sanglot après sanglot, en un vide sensible
Qui ne sera jamais comblé

Dans la nuit glaciale, de la brune à l’aurore,
Il contemple, muet, l’horizon étoilé,
Les constellations paresseuses éclore
Ou les jeux de lumière sur la neige moirée
Comme passe la lune aux sommets acérés.

Il s’élance parfois depuis les hautes cimes
Et se laisse planer au-dessus des forêts ;
Les bourrasques gelées qui montent de l’abîme
Plaquent contre sa peau son costume de jais
Et ces perturbations le distraient et l’égaient.

Il savoure le chant du vent dans les pinèdes,
Inspire avec bonheur les parfums résineux,
Admire, fier et béat, ce pays qu’il possède,
Magnifique et sauvage, grandiose et silencieux,
Qu’il domine bien plus qu’un monarque ou qu’un dieu.

Enfin, comblé d’avoir contrôlé ses trésors,
Dans l’heure précédant le déclin de la nuit
Il s’en va souriant faire régner la mort,
Dans l’infortuné bourg qui a été choisi,
Et se repaît de sang, de douleur et de cris.