Dans mes jeunes années, nous étions Atalantes ;
L’esprit sans cesse actif et le cœur épanoui
Nous jouissions des beautés de notre île chérie
Que nous voulions toujours rendre plus opulente,
Et les gens de la mer formaient un peuple ami :
Douze siècles plus tôt ils avaient secouru
Nos ancêtres chassés, nos aïeux expirants
En guidant leur navire qui sombrait lentement
Vers une terre alors sauvage et inconnue
– Montagne en leur empire – et en la leur offrant.
Autour poussait une algue qui, savamment dosée,
Permettait pour un temps de respirer les ondes
Et nos parents allaient dans les contrés profondes
Se nourrir quelquefois de fruits des marées
Lorsque les vivres se raréfiaient en leur monde.
Les enfants sont venus, la nation a grandi ;
La vie foisonnait dans les champs et les pâtures,
Et de l’été brûlant jusqu’aux nuits de froidure
Notre peuple croissait, sans besoin ni souci
Bercé par l’océan et ses éclaboussures.
Hélas, le temps passant, d’aucuns ont oublié
Le temps de nos malheurs, la bonté des sauveurs,
L’antique gratitude a tourné en rancœur
Et les discours fielleux de ces pédants bornés
Dans les échos des foules a trouvé de l’ampleur :
La guerre a éclaté. De tristes accidents
Ont été amplifiés, des pardons refusés,
De sanglantes revanches, enfin, organisées ;
Des guerriers sont partis, armés jusques aux dents,
Afin de massacrer les sauveurs du passé.
Ils avaient été bons, ils devinrent terribles ;
Nous ignorions tout de leurs pouvoirs immenses
– N’avions jamais connu d’eux que la bienveillance –
Mais nos atrocités les rendirent inflexibles
Et les flots se chargèrent d’une intense violence.
En un jour furieux le pays fut détruit :
L’île fut submergée, son sommet arraché.
Ceux qui étaient vivants restaient, comme hébétés,
Accrochés à des planches, des pontons en débris,
Sans espoir de revoir le soleil se lever.
Et dans ces heures noires, les hôtes des abysses
Qui n’avaient pas fini de pleurer sur leurs morts
Vers leurs anciens alliés s’en revinrent alors
Nous offrir d’enterrer avec eux ces supplices,
De devenir leurs frères en transformant nos corps.
C’est ainsi, en une algue inconnue absorbée,
Que j’ai vu transformer mes poumons en branchies ;
Désormais nous vivons en parfaite harmonie,
Pleinement intégrés dans la communauté
De l’Etat des abîmes aux splendeurs inouïes.