Author: Soune

Au milieu de la nuit je me suis éveillée
Après une rêverie
Qui m’avait établie
Au chaud entre les bras d’un homme que j’ai aimé ;

J’avais la sensation de percevoir encore
Son cœur contre mon cœur,
Son goût et son odeur,
Sa bouche sur mes seins et ses mains sur mon corps.

Les jours nous semblaient courts, sous ma haute montagne
Et nos nuits étaient brèves, car nous étions heureux :
Typhon était le plus tendre des amoureux
Et moi j’étais pour lui une aimante compagne.

Nous ne nous lassions pas d’arpenter les boyaux
Qui reliaient entre elles mes splendides cavernes ;
Elles eussent pu paraître à un humain bien ternes
Alors que leurs parois se paraient de joyaux :

Si mes pierres étaient brutes, leur éclat était doux
Quand elles reflétaient la lueur de nos yeux !
Le mycélium croissait en dessins harmonieux
Que je passais des jours à sculpter à mon goût.

Mes rivières étaient fraiches, les lacs étaient profonds
Nous nous y ébattions avec joie tous les jours
Et y faisions grandir les fruits de nos amours
Si forts et grands et beaux – chacun à sa façon.

Abominations ! C’est ainsi que nommèrent
Ceux qui peuplent l’Olympe – cruels intolérants –
Mes enfants qu’ils trouvaient d’eux par trop différents
Et de vieilles querelles alors s’envenimèrent.

Zeus en quelques éclairs exécuta son crime
Et pour que sa mémoire ne vienne le hanter
Enfouit profondément le corps de mon aimé ;
Depuis le temps est long au pays des Arimes.

De l’année qui s’éteint, je veux me souvenir
Du calme des forêts au tout petit matin
– Quand le soleil timide se dévoile soudain,
S’élève entre les nues et les fait resplendir –

De l’odeur de la pluie sur les feuilles d’automne,
De la fraîcheur des roses, de l’herbe non fauchée,
De la brise effleurant les fleurs des cerisiers
Et soulève un instant l’abeille qui y bourdonne,

Des grappes de raisin, de la menthe en bouquet,
De la douce saveur des fleurs de l’acacia,
Des poires et des pommes nappées de chocolat
Et du goût prononcé des melons de juillet,

Des randonnées sur les chemins de Jubéo,
Des courses effrénées de chamois entrevus,
Des lézards qui s’enfuient, du murmure des rus,
Des parfums de résine portés par le vent chaud,

Des promenades à l’aube, des marches au crépuscule,
Des mignons accenteurs au regard si perçant,
Du chant du rossignol, du cri de l’engoulevent,
Du raire du chevreuil, du grillon qui stridule ;

De l’année 2020, je veux me rappeler
Les journées en famille, les moments entre amis,
Les heures passées près de ceux que je chéris
Dans le douillet bonheur de me sentir aimée.

Dans mes jeunes années, nous étions Atalantes ;
L’esprit sans cesse actif et le cœur épanoui
Nous jouissions des beautés de notre île chérie
Que nous voulions toujours rendre plus opulente,
Et les gens de la mer formaient un peuple ami :

Douze siècles plus tôt ils avaient secouru
Nos ancêtres chassés, nos aïeux expirants
En guidant leur navire qui sombrait lentement
Vers une terre alors sauvage et inconnue
– Montagne en leur empire – et en la leur offrant.

Autour poussait une algue qui, savamment dosée,
Permettait pour un temps de respirer les ondes
Et nos parents allaient dans les contrés profondes
Se nourrir quelquefois de fruits des marées
Lorsque les vivres se raréfiaient en leur monde.

Les enfants sont venus, la nation a grandi ;
La vie foisonnait dans les champs et les pâtures,
Et de l’été brûlant jusqu’aux nuits de froidure
Notre peuple croissait, sans besoin ni souci
Bercé par l’océan et ses éclaboussures.

Hélas, le temps passant, d’aucuns ont oublié
Le temps de nos malheurs, la bonté des sauveurs,
L’antique gratitude a tourné en rancœur
Et les discours fielleux de ces pédants bornés
Dans les échos des foules a trouvé de l’ampleur :

La guerre a éclaté. De tristes accidents
Ont été amplifiés, des pardons refusés,
De sanglantes revanches, enfin, organisées ;
Des guerriers sont partis, armés jusques aux dents,
Afin de massacrer les sauveurs du passé.

Ils avaient été bons, ils devinrent terribles ;
Nous ignorions tout de leurs pouvoirs immenses
– N’avions jamais connu d’eux que la bienveillance –
Mais nos atrocités les rendirent inflexibles
Et les flots se chargèrent d’une intense violence.

En un jour furieux le pays fut détruit :
L’île fut submergée, son sommet arraché.
Ceux qui étaient vivants restaient, comme hébétés,
Accrochés à des planches, des pontons en débris,
Sans espoir de revoir le soleil se lever.

Et dans ces heures noires, les hôtes des abysses
Qui n’avaient pas fini de pleurer sur leurs morts
Vers leurs anciens alliés s’en revinrent alors
Nous offrir d’enterrer avec eux ces supplices,
De devenir leurs frères en transformant nos corps.

C’est ainsi, en une algue inconnue absorbée,
Que j’ai vu transformer mes poumons en branchies ;
Désormais nous vivons en parfaite harmonie,
Pleinement intégrés dans la communauté
De l’Etat des abîmes aux splendeurs inouïes.

Je sais que toute vie éclot pour se faner,
Et qu’au moment précis de la conception
Résonne aussi le glas de la condamnation,
Que notre premier souffle induit le dernier ;

Que nous ne sommes rien à l’échelle du temps,
Qu’un siècle est un soupir dans la danse cosmique,
Et que la mort n’est rien que la suite logique
De l’apparition de chaque être vivant

Mais si le temps s’en va, si je sais tout cela,
Un chagrin silencieux peuple toujours mes songes,
Et mes jours sont teintés d’un regret qui me ronge :
N’avoir pas su lui dire ce qu’il comptait pour moi.

« Ils soufflent « parricide ! » aussitôt que leurs pas
Les mènent dans les bois dont j’ai fait mon domaine ;
Leur peur les pousse à taire la force de leur haine
Pourtant j’entends toujours les échos de leurs voix.

Oh, je l’ai mérité ; assassin ! Fils pervers !
Plutôt que de céder à ma fureur cupide,
Que ne me suis-je pas élancé dans le vide
Quand j’ai eu sous les yeux le trésor de mon père ?

Depuis je gîte seul, allongé sur mon or ;
Sitôt que je m’éloigne pour me désaltérer
L’angoisse m’envahit d’en être séparé
Et je reviens en hâte le couvrir de mon corps.

Le brame du vieux cerf qui annonce la nuit,
La brise dans les pins, les parfums de l’automne,
La chaleur du soleil qui sur les rocs rayonne,
Ces plaisirs sont perdus pour mon cœur assombri.

Je voudrais m’endormir en ma tanière obscure :
Le temps est triste et long ; ces regrets obsédants
Attisent sans répit mon perpétuel tourment »
Ainsi rêvait Fafnir en attendant Sigurd.

Il est doux de pouvoir
Occasionnellement
Profiter du moment
Dans le calme du soir ;

Quand le souffle du vent
Soupire dans les treilles
Alors que le soleil
Décline lentement,

Simplement admirer
Du ciel le bleu intense,
Jouir du pesant silence
Des chaudes nuits d’été.

Si je pouvais serrer le fruit de mes amours
Contre mon corps en deuil, sur mon cœur plein de lui,
En un fugace instant, en un moment exquis
Embrasser ses cheveux doux comme du velours,

Je verserais sur lui une vie de caresses,
Murmurerais cent fois la passion qui m’étreint,
Le berçant doucement sentirais son parfum
En chantonnant tout bas des mots pleins de tendresse.

Depuis près de cent lustres, il se dresse imposant
Dans les bois primitifs où il a su grandir ;
A présent que son tronc commence de pourrir,
Il évoque serein les souvenirs d’antan.

Les arbres étaient hauts, la forêt colossale
Le silence ne troublait ses nuits ni ses jours,
Tantôt le cerf bramait ses appétits d’amours,
Tantôt le campagnol fouissait sous les étoiles

Et lorsque le crapaud, le pic ou le renard,
Ensemble interrompaient leurs courses et leurs chants,
Que le vent dans les feuilles s’arrêtait un instant
D’autres voix et babils montaient de toutes parts :

La nuit, le petit peuple sortait des galeries
Polir leurs éclats d’ambre sous les rayons de lune,
Les fées jouaient aux cimes dès qu’arrivait la brune,
Le beau peuple dansait sous les cieux assombris ;

Les esprits des ruisseaux et ceux des végétaux
Dès l’aube parcouraient sans répit leur domaine
Effleurant les fougères, enfouissant les faines,
Souriant aux goujons tapis au fond des flots.

Mais les fées sont parties et les elfes sont morts,
Les gobelins se terrent en leurs sombres terriers,
Dryades et ondins se sont étiolés,
Le peuple gnome a fui et enfoui ses trésors.

Si sa force a décru quand la magie a fui
Il persiste sans trêve à filtrer l’atmosphère,
Ses feuilles et leur humus régénèrent la terre,
Insectes et passereaux en ont fait leur abri.

Ils errent, je le sens, ceux qui te disent mort,
Ceux qui te pleurent encore silencieusement,
Qui souffrent de penser qu’aujourd’hui ton corps
Au fond de ton cercueil se gâte lentement ;

Tu es dans ces pays où il fait toujours beau,
Où le sable est brûlant, où les vagues sont belles,
Tu surfes, joues au foot et golfes comme un pro
Puis t’en vas randonner dans les monts éternels.