Elle aimait à danser sur la crête des monts ;
Ses boucles tournoyaient sur sa nuque et son dos
Et au fil de ses pas, les sauts de son jupon
Permettaient au soleil de réchauffer sa peau.

Sur la rosée givrée, sous la brise vernale,
Dans la lourde chaleur des soirées de moissons
Ou bien enveloppée de brumes automnales
Elle virevoltait, preste et sans prétention.

Le visage radieux, cœur et esprit légers,
Chaque jour elle quittait le foyer familial ;
Les voisins souriaient en la voyant passer,
De l’aurore à complies, parfois sous les étoiles,

Et lors des jours paisibles, si le temps était beau,
Les villageois souvent s’en venaient l’admirer
Et se réjouir devant le délicieux tableau
Des gestes gracieux de l’alerte beauté.

Pendant l’an qui s’achève
Mes yeux se sont ternis ;
Est-ce la mort d’un rêve
Qui m’a ainsi vieillie ?

Comme le temps s’élance
Dans la douceur du soir,
Je respire en silence
Sans haine et sans espoir.

Je vagabondais seule en la forêt obscure,
Mes pas sur le chemin ne faisant aucun bruit
De peur de perturber le calme de la nuit
Qui donne à toutes choses une tout autre allure

Et les bois somnolents m’observaient, impassibles ;
Parfois un bruissement de feuilles desséchées,
Tantôt un craquement, venaient me rappeler
Que j’étais entourée d’une vie invisible

Et les sens en alerte, j’allais comme ébahie :
Qu’il est particulier de vaguer dans le noir
Parmi des sons confus qui ne laissent savoir
Si l’on a dérangé ou si l’on est suivie !

Le temps passe et je pense à toi –
Toi que j’ai connu tout enfant
Condisciple, ami puis amant,
Tu as, pendant plus de trente ans,
Profondément compté pour moi.

Un lustre auparavant il s’était établi
Au cœur de la forêt, à deux pas du ruisseau ;
Le bruit avait couru, parmi ceux du hameau,
Que le gaillard devait être un forçat enfui.

Il vivait à l’écart, constamment occupé
A créer du charbon – rarement à le vendre :
Les villageois pour lui ne se montraient pas tendre
Et le pointant du doigt le nommaient l’étranger.

Au fil de ces visites, certaines demoiselles
Observaient que le gars avait belle prestance ;
Oubliant les ragots, elles avaient l’imprudence
Les jours de grand marché de se faire plus belles,

Allant parfois jusqu’à sourire au charbonnier.
Alors les bonnes gens, les badauds, les commères
Fronçaient fort le sourcil et murmuraient, sévères,
Qu’on ne le voyait pas souvent chez le curé.

Lui avait remarqué la fille du tanneur :
Son air timide et doux, sa silhouette gracile
Et le regard profond filtrant sous ses longs cils
L’avaient ému jusques au tréfonds de son cœur

– Elle, de son côté, n’avait d’yeux que pour lui.
Ils s’épousèrent donc : souriants se jurèrent
Tout emplis de bonheur, pleins d’un amour sincère,
Respect, fidélité, tendresse pour la vie.

Quand elle s’installa avec lui dans les bois,
Partageant avec lui les fardeaux de sa charge
Tous ceux qui évoquaient le tout jeune ménage
Affirmaient que leur joie ne se maintiendrait pas.

Peu à peu ils sombrèrent dans un semi oubli :
Ils se mêlaient si peu aux gens des alentours !
Mais lorsqu’ils les croisaient, ils s’entendaient toujours
Reprocher leurs absences aux vêpres, aux complies.

Un soir le jeune époux se rua dans le bourg,
Le regard égaré, l’accent plein de détresse
Supplia les gentils qui partaient à la messe,
Sa femme étant blessée, de lui porter secours

Mais tandis que d’aucuns – le regardant de haut –
Allaient vers lui se fit entendre une voix grêle
Rappelant qu’il allait bien peu devant l’autel
Et tous alors s’en furent en lui tournant le dos.

J’aurais voulu plutôt que de te voir partir
– Triste masse écarlate – dans les flots de mon sang,
Te conserver en moi lové douillettement
Pour quelques mois plus tard enfin te découvrir ;

Te presser sur mon corps, respirer ton odeur,
Te bercer, te nourrir, laver ta jolie peau,
Fredonner ma tendresse au pied de ton berceau,
Provoquer tes sourires et apaiser tes pleurs.

Tu hantes doucement le fond de ma mémoire,
Mignon fantôme froid brûlant mon cœur meurtri
Trop vite disparu et à jamais chéri,
Et je t’aime toujours, sans but et sans espoir.

Si tu pars avant l’aube au-dessus des nuages
Tu pourras admirer dans les cieux cristallins
Le captivant ballet des serpents aériens
Et les éclats de gel formés dans leur sillage,

Les mères de la pluie modeler les brouillards,
Continuellement – grasses et engourdies –
Et peut-être y semer des têtards d’incendie
Qui illumineront les nuits les plus noires ;

Les enfants du Zéphyr te frôleront parfois,
Absorbés dans leur course et tout à leurs ébats
Mais lorsque l’horizon prendra des teintes d’or

Saluant tendrement les esprits éthérés
Tu prendras le chemin de ton propre foyer
Avant que le soleil ne consume ton corps.

« Regardez bien ce qu’aucun œil ne verra plus !
Voyez l’immense Charn, cité du roi des rois,
Merveille de ce monde et des mondes au-delà
– Et dont la vie en un instant a disparu –

« Elle est muette à présent mais avant sa ruine,
L’air était plein toujours des sons de son essor :
Le claquement constant du fouet sur l’échine
Des esclaves geignant aux portes de la mort,

« Le grincement des roues, les frottements de pieds
Le tonnerre des chariots, le timbre des tambours
Qui informaient la plèbe au fil de leurs coups sourds
De la chute des corps de nouveaux sacrifiés !

« Je me suis tenue là, dans ses dernières heures,
La guerre gonflait les rues de son rugissement
Tandis que mes soldats mouraient dans la douleur,
Que les flots de la Charn se gorgeaient de leur sang »

Ainsi parlait Jadis au seuil de son palais,
Quand les pourpres lueurs d’une étoile flétrie
Soulignaient les contours d’une cité sans vie :
Sans remords et l’esprit plein d’orgueil satisfait.

Le chant du rossignol nous appelle, ma douce !
Après le crépuscule, ses trilles sonnent clair :
Attrape donc ma main et dansons sur la mousse
Enlacés dans le froid limpide de l’hiver !

Ton corps chauffe mon cœur, ton rire emplit mon âme
Ivres de passion, valsons jusques au jour !
Célébrons notre joie, exaltons notre flamme
– Savourons derechef notre éternel amour –