Un lustre auparavant il s’était établi
Au cœur de la forêt, à deux pas du ruisseau ;
Le bruit avait couru, parmi ceux du hameau,
Que le gaillard devait être un forçat enfui.

Il vivait à l’écart, constamment occupé
A créer du charbon – rarement à le vendre :
Les villageois pour lui ne se montraient pas tendre
Et le pointant du doigt le nommaient l’étranger.

Au fil de ces visites, certaines demoiselles
Observaient que le gars avait belle prestance ;
Oubliant les ragots, elles avaient l’imprudence
Les jours de grand marché de se faire plus belles,

Allant parfois jusqu’à sourire au charbonnier.
Alors les bonnes gens, les badauds, les commères
Fronçaient fort le sourcil et murmuraient, sévères,
Qu’on ne le voyait pas souvent chez le curé.

Lui avait remarqué la fille du tanneur :
Son air timide et doux, sa silhouette gracile
Et le regard profond filtrant sous ses longs cils
L’avaient ému jusques au tréfonds de son cœur

– Elle, de son côté, n’avait d’yeux que pour lui.
Ils s’épousèrent donc : souriants se jurèrent
Tout emplis de bonheur, pleins d’un amour sincère,
Respect, fidélité, tendresse pour la vie.

Quand elle s’installa avec lui dans les bois,
Partageant avec lui les fardeaux de sa charge
Tous ceux qui évoquaient le tout jeune ménage
Affirmaient que leur joie ne se maintiendrait pas.

Peu à peu ils sombrèrent dans un semi oubli :
Ils se mêlaient si peu aux gens des alentours !
Mais lorsqu’ils les croisaient, ils s’entendaient toujours
Reprocher leurs absences aux vêpres, aux complies.

Un soir le jeune époux se rua dans le bourg,
Le regard égaré, l’accent plein de détresse
Supplia les gentils qui partaient à la messe,
Sa femme étant blessée, de lui porter secours

Mais tandis que d’aucuns – le regardant de haut –
Allaient vers lui se fit entendre une voix grêle
Rappelant qu’il allait bien peu devant l’autel
Et tous alors s’en furent en lui tournant le dos.