Nous savions que c’était notre dernier appel
Et mon cœur se serrait en entendant sa voix,
Sachant qu’il n’y aurait pas de prochaine fois
Tandis que nous parlions des sujets habituels

J’avais envie ce soir de lui dire « au revoir »
Seulement maintenant, je ne le verrai plus.
– Lui dire adieu alors ? Pour ça il eût fallu
Que nous croyions en une vie après le noir.

Aussi, j’aurais voulu lui dire que je l’aime
Mais après des années sans jamais l’énoncer,
Les mots ne sortaient pas, j’ai craint de le gêner
J’espère, je suppose, qu’il le sait tout de même.

Il ne supporte plus de sans cesse souffrir
Sans espoir d’aller mieux, mais j’ai bien du chagrin,
Même si c’est son choix, de penser que demain
Ses yeux se fermeront pour ne plus se rouvrir.

Petit corps au visage blanc,
Tes refus sont souvent violents
Quand je tente de te nourrir ;
Tu t’en retrouves tout tremblant :
T’arrêteras-tu de vomir ?

Aux heures de délassement,
Tu t’enlises stupidement
Dans des pensées, des souvenirs
Qui te dévorent du dedans.
Te résoudras-tu à dormir ?

Ton comportement affligeant
A un aspect intéressant :
Si tu continues de faiblir,
Tout englué dans tes tourments,
Combien de temps vas-tu tenir ?

On sent parfois la nuit leurs hurlements muets ;
Vestiges aériens de siècles disparus
Foulant les sols où autrefois ils ont vécu,
Ils portent le parfum des anciennes forêts.

Dans ces immenses sylves, ils étaient des chasseurs :
Mieux valait se cacher quand la meute affamée
D’un même mouvement commençait de chasser
– Les loups portaient la mort et semaient la terreur –

Ils folâtrent à présent dans les bois et les prés,
Pistent les randonneurs, bondissent sur les daims
Guettent les lièvres qui broutent au pied des sapins,
Sans que les voient jamais leurs proies des temps passés.

Il était froid déjà lorsqu’elle m’a parlé,
Les joues trempées de pleurs, des sanglots plein la voix,
La douleur plaquée sur son visage délicat,
Blafard, hâve et désespéré.

Les membres vacillants, elle m’a prise en ses bras
– Ses traits me rappelaient les traits de son puîné –
Avant de me confier d’un murmure éraillé
« Il m’a beaucoup parlé de toi ;

« Et je veux te dire qu’il t’a aimée, respectée ;
S’il ne l’a pas montré, c’est que son désarroi
L’avait rendu abrupt, ombrageux, maladroit »
Je n’en avais jamais douté.

Elle avait de grands yeux brillants
A force de toujours pleurer,
La châtelaine d’Arzeliers ;
Ils mangeaient son visage blanc.

On les voyait pourtant bien peu :
Cloitrée, vivant dans la terreur
Des colères de son seigneur
– Indifférent et soupçonneux –

Fréquemment, elle s’évadait,
Allait cacher ses meurtrissures
Au ravin de la combe obscure
Ou jusqu’à l’église d’Upaix :

Elle fuyait les gens, le jour,
Fébrile, semblant hébétée,
Priant de n’être rattrapée,
Mais il la retrouvait toujours.

Un soir de pluie, sous un ciel jaune,
Son regard se fit pénétrant
Et elle entra en souriant
Dans les flots du torrent de l’Aune.

Je le ressens toujours dans un coin de mon cœur
Ce souvenir stérile, ce remord obsédant
Parfois, il se dévoile, intensément violent,
Et je m’effondre de douleur.

– Il a roulé de nuit, répondant à l’appel
De mes pleurs déchirants, de ma voix dévastée
Avec l’idée que le sentir à mes côtés
Rendrait ma peine moins cruelle ;

Je tremble dans ses bras, suffoquée de détresse
Prostrée de désespoir, captive en mon esprit,
Sidérée, tandis que l’homme que j’ai trahi
Murmure des mots de tendresse –

Je devrais parvenir à mieux le maîtriser
Mais mon chagrin se fait d’autant plus désolant
De porter toute seule depuis dix-huit ans
Le deuil du bébé que j’ai tué.

Quand le sommeil s’en vient – les nuits où il me prend
Tu envahis mes rêves sans que je l’aie souhaité,
Me frôles, me souris, me couvres de baisers,
M’amènes sur ton corps – et, vraiment, je te sens

En moi – tu viens combler mon ventre frémissant
Ou durcis dans ma bouche ; je savoure ta peau
Et enfiévrée essaie de calmer le tempo
De mon désir accru par tes gémissements.

Alors, je me réveille pour me remémorer
Ton visage fermé, plein de répulsion,
Et que mes sentiments ou mes émotions
Ne comptent plus pour toi, s’ils ont jamais compté.

Dans la brise du soir, l’engoulevent appelle.
Comme graduellement se propage la nuit
Son chant vibrant emplit la forêt assombrie
Et s’entremêle aux trilles de la locustelle.

Figée dans les ténèbres, je perçois les clameurs
Des moyens-ducs, des chevêches les cris perçants
Et je saisis parfois les légers grincements
Des chiroptères tandis que se trainent les heures.

L’alouette grisolle, le ciel s’éclaircit
Le merle noir enfin commence de flûter ;
Le cri du troglodyte qui vient s’y combiner
Ponctue et accompagne mes sombres rêveries.