Author: Soune

Ce soir les enfants jouent, déguisés en sorciers,
En bêtes et en monstres, en revenants putrides,
Et sonnant aux maisons ouvrent des yeux candides
Dans l’espoir de remplir de bonbons leur panier.

Ce soir les animaux restent quiets dans leur gite :
Le calme est de rigueur, la veillée du Samain
Pour qui sait percevoir le caverneux refrain
Qui du cœur de la terre s’envole au satellite ;

Ce soir la lune éclaire de son premier quartier
Les flux délibérés des brumes automnales
Qui paraissent mimer d’immenses bacchanales
Dans lesquelles la contrée est peu à peu liée.

Ce soir, le vent caresse les portes d’autres mondes :
Les dieux et les morts reparaissent, aériens,
Et les arbres et les rocs sont les muets témoins
De leurs sombres parades et surprenantes rondes.

Dans l’hiver qui s’installe, tu as froid en silence
À tes vaisseaux muets, rien ne circule plus
Tu représente et personnifie l’indigence :
Dépourvue de tout bien et complètement nue.

Lorsque je t’ai connue, ta peau était marquée
De lambeaux de tenues déchirées, disparates
Qui ont laissé paraître, une fois soulevées
De blessures passées les nombreuses stigmates.

Tu étais trop chargée pour ta fine charpente :
Tant d’habits et de fards pour un corps asphyxié,
Tant de bijoux épais, de chaussures pesantes,
Ont su t’exténuer, année après année !

Mais ces temps ont passé : si tu es dépouillée,
C’est pour mieux réparer les lésions de ton derme
Et panser les blessures qui parsèment tes pieds ;
Tes tourments, je le veux, parviennent à leur terme.

Ta peau, neuve, sera légèrement vêtue
D’un voile lumineux, sobre, moelleux et chaud,
Quelques œuvres orneront tes charmes ingénus,
Tes orteils s’ébattront dans de douillets sabots.

Tes tuyaux rutilants, splendides au naturel,
Laisseront s’élancer les eaux brulantes, enfin,
Qui chaufferont tes pièces, saines autant que belles
Et je m’installerai, soulagée, en ton sein.

La lune devant moi
Je roule doucement
Au milieu des champs
Et je n’en reviens pas ;

Les cheveux, le teint, blancs
Des crampes dans les bras,
Les cuisses et l’estomac
Je rejoins les parents ;

Et cela fait un mois
– constant ébahissement –
Qu’après bien des tourments
J’ai enfin un chez-moi.

Si je ferme les yeux, mon réveil se déclenche.
J’entame mon travail, la journée se finit,
Je m’arrête un instant et voilà le lundi ;
Je ne vois plus passer de soirs ni de dimanches.

Où s’envole mon temps, je ne le comprends pas
– L’été a commencé il y a quelques jours
Cette nuit il paraît expirer sans recours –
Les heures se dérobent dès qu’elles touchent à moi.

Chronos, que t’ai-je fait pour qu’ainsi tu me fuies ?
Je souffre de sentir ta course perpétuelle,
Le monde en ton absence semble presque irréel
Je ne vis plus lorsque tu désertes mon lit.

Ma fée, joyeux anniversaire !
Les années vont, sans altérer
Ton invraisemblable beauté,
Tes yeux brillants, ton sourire clair ;

Tes trente ans ne te changent pas :
Tu faisais très « petite femme »
Pleine de vie, pleine de charme
Il y a quatorze ans, déjà.

Ta splendeur et mon affection
N’ont fait que croître depuis lors :
Tu es le plus joli trésor
De mon coeur de petit dragon !

Le vent chaud tourbillonne, se rue sur les chemins,
Va toujours s’amplifiant, à chaque carrefour
Et souffle avec furie dans les branches des pins :
Là, sa brutale haleine se change en un bruit sourd.

La plainte qui s’ensuit paraîtrait presque humaine
Quand secouant les aiguilles, s’acharnant sur les troncs
Sa spirale descendante brusquement se déchaîne
Se perd dans la vallée et ses ravins profonds.

Lorsque sa voix perçante envahit Saint Lagier,
Quand ses âpres rafales sifflent aux creux des pierres,
Des ruines des chaumières à celles du clocher,
Alors, se déverrouillent les portes de l’enfer.

Les clameurs des damnés s’élèvent en un instant
Des sentes ombragées aux rocs des cols incultes
Ils hurlent leur douleur, dans leurs fers rougeoyants,
Et l’écho amplifie ce terrible tumulte.

Les esprits des démons envahissent alors
Les flancs de Jubeo dans leur quête de jouets
Aux abords des marcheurs, ils semblent prendre corps
Et l’on voit des chevreuils s’enfuir dans la forêt.

Le promeneur qui suit l’animal disparu
Ou le son entêtant qui son tympan martèle
Inexorablement tombe aux mains des déchus ;
Apporte au choeur une sonorité nouvelle.

À la fraîcheur de l’aube, muets, ils sont entrés
Dans le saint édifice et cent yeux bien ouverts
Ont pu les voir marcher, les bras entrelacés,
Pourtant froids et distants et comme embarrassés,
Jusqu’à un épais mur de pierre.

Elle était jeune et belle – ses membres délicats
Paraissaient sans défauts sous sa robe légère
Qui ne dévoilait pas tout à fait ses appâts
Propres à brûler un cœur – cependant que ses pas
Effleuraient les dalles austères.

De toutes les statues qui les ont vus passer,
Une semblable aux créatures des enfers
Une gargouille seule, charmée par la beauté
De la pucelle a continué de regarder
Ces créatures éphémères.

Du lierre était tressé dans ses cheveux soyeux,
Dont la teinte avivait de ses iris le vert,
Parant ses lourdes nattes simplement et bien mieux
Que ne l’auraient su faire maints joyaux précieux
De son éclat rudimentaire.

En un instant, l’homme marchant à ses côtés
Vif et trompeur, cruel autant que Lucifer
Mis ses mains autour de la gorge immaculée
La serra jusqu’à ce qu’elle choie étranglée
Et s’éteigne à même la terre.

On ne trouva jamais l’effroyable assassin
Malgré de longues quêtes gonflées par la colère
Menées par les ruelles, les champs ou les chemins
Car dans la foule en pleurs se tapissait serein
Ce monstre au fond pervers.

Les premiers temps, la gargouille a hurlé
Chaque fois que cet homme entrait dans sa tanière
– Les ans passant, il est mort vieux, et honoré –
Depuis ce jour elle pleure sans discontinuer
La tendre fille aux yeux pers.

Les parfums de la pluie qui humecte le sol
Envahissent la nuit qui vient de s’installer
Douce fraîcheur, exaltée par l’obscurité
Où le hibou vient de prendre son envol.

Une lune voilé éclaire, monochrome,
Des arbres abreuvés les frissons lents et doux,
Des ruisseaux réveillés les sursauts, les remous,
La brume qui paraît abriter des fantômes.

Alors se font entendre, aux détours des cours d’eau,
Près des mares engourdies, dans les sillons des champs,
Les notes assourdies aux accents pénétrants
Des appels des grenouilles et du chant des crapauds.

Sur les sentiers déserts, quand le soleil a fui,
Le gytrash apparaît, ombre dans la pénombre :
On le distingue à peine, ses membres larges et sombres
En foulant la poussière ne produisent aucun bruit.

Il avance en silence au détour des chemins,
Sans hâte et pourtant prompt, il meut son corps énorme
Et selon les moments, il adopte la forme
Tantôt d’un lourd cheval, tantôt d’un très grand chien.

Et il guide en silence, lorsque l’envie l’en prend,
Les voyageurs perdus à l’esprit énergique
Tandis que les rôdeurs au cœur moins héroïque
Sous son regard de braises se sauvent en hurlant.

Gytrash ! Tu ne verras plus dans les bois, l’été,
Du petit peuple vert les fines farandoles,
Voilà longtemps déjà qu’ils ont pris leur envol
Et tu marches ici bas, seul et désabusé.

Ange, princesse tant aimée,
Tu m’éblouis jour après jour :
Tu allies à tant de beauté
Tant d’innocence et tant d’amour !

Tu as chauffé mon petit cœur
– Il était sec et racorni –
En me montrant tout le bonheur
Que peut apporter un ami.

Et malgré tes muscles mignons
Souvent je me trouve inquiète
Du poids que tes perfections
Portent sur tes jolies gambettes !