Fable

Un beau jour qu’il se promenait
Dans les prés, les bois et les champs,
Le chien de Dame Corinne croisa un chien méchant
Qui depuis quelque temps de derrière un bosquet
Le surveillait; la bête enragée le mordit
Le pauvre chien, las ! Contracta la maladie.
Il rentra la queue basse jusques à son logis ;
Sa maîtresse le vit, et fronça les sourcils :
« Mauvais sujet, tu es sorti sans mon accord
Tu vois, tu as eu tort :
Tu t’es fait malmener. »
L’état du pauvre chien commença d’empirer
La fièvre le rongeait, et sa gorge embrasée
Le faisait tant et tant souffrir
Qu’il ne pouvait plus avaler
Il se coucha, comprenant qu’il allait mourir,
Souffrant, pourtant résigné, et déterminé
À mourir dans le calme et la tranquillité.
Malheureusement la femme de son logis
Sur la question était d’un autre avis ;
Elle prépara donc nombre pansements,
Bandages, cataplasmes, baumes calmants
Et tout l’après midi et toute la soirée
Sans relâche s’acharna sur le canidé
Faisant de son agonie un enfer.
Il souffrait sans pouvoir rien faire ;
Un jour étranglé par une compresse
Il eut la hardiesse – ou la maladresse
De laisser s’échapper
De sa gorge étranglée
Un grognement voilé de rage et de douleur.
Dame Corinne fâchée et pleine de rancœur
S’en alla aussitôt se plaindre à son époux :
« L’animal a grogné, m’a menacée, et vous
Vous restez coi, ne dites mot, ne faites rien ?
Allez donc vitement rouer de coups ce chien ! »
Le mari maltraité aussi fut fort marri
Il avait recueilli l’animal tout petit
Et depuis cette époque un attachement profond
Liait l’animal fidèle et son maître si bon.
En outre connaissant son épouse, il pensait
Que l’animal, tant maltraité,
N’avait pas été bien mauvais,
N’ayant pas mordu mais grogné.
Tout cela il le dit
À sa femme trop chérie
Hélas, sa bienveillante sagesse ne récolta
Que des injures, elle le nomma même « scélérat »
Et se plaignit bien haut de son indifférence
Alors qu’elle-même n’avait pour lui que déférence
Elle le réprimanda ainsi pendant des heures
Puis, ayant apaisé sa colère et sa peur,
S’en alla à nouveau martyriser son chien
Qui malgré sa douleur cette fois se garda bien
De faire paraître un croc
Pour ne pas faire gronder
Son maître tant aimé
Qui par amour à sa femme se soumettait trop
Il se résigna donc à mourir en souffrance
Et malgré sa douleur garda calme et silence.
Son maître de le voir harcelé, tourmenté
Par son épouse pleine de bonnes intentions
Et craignant les complications
De la fureur de sa moitié
Compatissant
Mais impuissant
Se résigna à voir son animal fidèle
Souffrir stoïquement pour calmer la querelle.

Mesdames, vous qui êtes pleines de bonnes intentions
Sachez que vos traitements et vos attentions
Peuvent ne pas guérir mais blesser davantage
Un animal meurtri qui redevient sauvage :
En l’étouffant, vous grandissez ses maux.
Lors s’il vous grogne, n’en faites pas un crime,
Et n’allez pas partout crier bien haut
Que dans l’histoire vous êtes la victime.