Petit être d’où tu es tu ne peux pas m’entendre
Tu dors au seul endroit où la douleur n’est plus
– Pensée qui n’évite pas à mon cœur de se fendre
Et d’être incessamment de douleur revêtu –

Tu es à chaque instant au creux de mes pensées,
Bien au chaud et caché dans un tendre repli
Au plus profond de moi : tu ne m’as pas quitté
Et pourtant laisse un vide éploré et meurtri.

J’aurai du m’inquiéter de ce changement subit :
Tu étais si discrète, taciturne, silencieuse,
Toi qui est d’habitude d’une humeur si joyeuse,
Tu te réfugiais dans un calme alangui.

J’aurai du m’inquiéter ! Ne voulais-je rien voir ?
Pour qu’enfin je comprenne, on a du me le dire :
« Ta Jacinthe tant aimée est en train de mourir ;
Vois son visage blême et ses cernes blafards ! »

J’aurai du m’inquiéter bien avant ce moment :
Un seul coup d’œil sur ton visage m’eut renseigné !
Mais d’un autre danger je voulais te sauver…
Me pardonneras-tu, ange aimé et aimant ?

J’aurai du m’inquiéter – j’ai cru devenir folle !
Sans souci du danger, je t’ai prise par la main
Nous avons pris la fuite. Un de ces assassins
T’a visée, a tiré, tu as chu sur le sol.

Il y avait une ambulance ; je t’ai menée
À l’hôpital – Princesse, tu perdais tout ton sang
Et ta vie s’enfuyait plus vite encore qu’avant –
Tu n’étais plus consciente, avais-tu succombé ?

Lorsque j’en suis sortie, l’ambulance s’est fermée.
Je te voyais par la fenêtre, évanouie,
Mourante, et ni mes pleurs ni mes coups ni mes cris
N’ont forcé à s’ouvrir cette porte damnée.

Je me suis réveillée… Petit ange parfait,
L’idée de te faillir me fait frémir d’effroi ;
Si un jour tu vas mal, aussitôt dis-le moi :
Je ferai tout pour t’aider, je te le promets.

Se pourrait-il qu’un jour, mon amour, tu m’oublie ?
Se pourrait-il qu’un jour, ma passion, ta tendresse,
L’amour qui nous a lié, mes baisers, tes caresses,
Nos rires et nos sourires s’effacent de ton esprit ?

Ce bonheur, tu disais qu’il durerait toujours ;
Mais le jour redouté auquel tu m’oublieras
– Tu te fais si distant – n’est-il pas déjà là ?
Mon aimé as-tu pu oublier tant d’amour ?

À présent que l’amour t’a quitté, ange mien,
Qu’évoque mon prénom au fond de ton esprit ?
L’amante est balayée et je reste une amie…

Maigre consolation quand la passion me tient !
Je t’aime et je t’adore, je ne vis que pour toi,
Cela t’importe peu – et tu m’oublie déjà.

Ce matin, la Lumière est venue me saluer ;
Devant elle je me suis jusqu’au sol inclinée.
Inerte et accablée, longtemps j’ai attendu
Qu’elle sorte de mon crâne et me rende la vue.

Ô Grande Dame, c’est trop d’honneur que vous me faites
Que de venir ainsi illuminer mes yeux !
Je suis indigne de ce don trop généreux,
Voyez vous-même : de vos bienfaits, je sors défaite !

Lors rendez-moi la vue afin que, sans tarder,
Chancelante et en prise à de fortes nausées,
Qu’à tout le moins je voie ou mes pas me dirigent
Alors que tout mon être est en proie au vertige.

Dites-moi que mon cœur est brisé et se meurt
Dites-moi que mon être succombe sous la douleur
Et je l’approuverai ; je souffre trop pour nier.
Dites-moi en revanche que le monde est beauté,
Que tous ses éléments sont d’exquises splendeurs,
Que l’âme se délecte de toutes ces couleurs,
Ces odeurs et ces tons éphémères et changeants,
Toujours beaux par la pluie, le soleil et le vent,

Et je vous répondrai : « si l’âme humaine adore
Les cieux infinis d’azur, de jais ou d’or,
Si elle est en extase lorsqu’elle sent les parfums
Suaves ou frais de la pluie qui tombe en un jardin,
Et si elle s’émerveille des desseins gracieux
Que provoque à l’entour l’air mouvant dans les cieux
Dans les ramures des arbres ou dans les champs dorés,
À la surface des lacs ou des plaines enneigées,

Le soleil me meurtrit car il brûle mes yeux ;
La pluie n’insuffle en moi qu’un chagrin pernicieux,
Le vent, quand il me frôle, je le trouve glacial.
Que m’importent les merveilles qu’à eux tous ils dévoilent ?
Si l’âme humaine adore ces splendeurs obscurcies
Dans le cloaque qu’est à présent mon esprit,
Je ne suis pas humaine, ou mon âme brisée
Rompue par la douleur a fui ou trépassé. »

Les champs à ma fenêtre sont d’un vert flamboyant,
Leur éclat est plus pur qu’aucun joyau au monde.
Et les couleurs du ciel, lumineuses et profondes,
Forment un tableau éblouissant, toujours changeant.

Chaque fragment du paysage est enchanteur ;
Les alentours, exquis, se présentent à mes yeux
– Ils ne rencontrent en moi qu’un chagrin silencieux :
Comment voir la beauté quand je n’ai plus de cœur ?

Je me débats dans un océan de douleur,
La souffrance m’emplit toute et je suis terrassée
Il semble que mon cœur guérit pour se briser
Mais cette fois rien ne vient faire cesser mes pleurs.

Si durant un instant l’espoir en moi renaît
Si, une seconde, j’oublie ma désolation
Ou que je rêve qu’il m’aime, mon exaltation
– Ou mon calme – s’enfuit ne laissant que regrets.

Plus terrible est la peine après le réconfort,
Et je souffrirais moins si mon cœur était mort.

Je crois qu’il ne m’aime plus et mon cœur est brisé ;
Prostrée seule dans ma chambre, je ne cesse de pleurer.
Je sais qu’il ne m’aime plus mais refuse d’y croire
Pourtant rien ne pourrait grandir mon désespoir.

Ces lèvres si douces que je n’ai pu effleurer,
Durant des heures, hier, je les ai contemplées
J’espérais que peut-être mon citadin m’aimait,
Qu’il se pencherait sur moi et puis m’embrasserait.

Et je suis seule pour affronter tant de peine
Il ne m’aime plus – je ne veux pas ! Et je réfrène
Les hurlements de mort qui me viennent aux lèvres…
Tout cela pour un homme ! Peut-on être si mièvre ?

Dessus mon oreiller, quelques larmes ont fait naître
Un bonhomme guilleret dont le sourire – le traître –
Me renvoie à cette bouche et à son possesseur
Que j’aime, que j’adore, et qui brise mon cœur.

Dans mes bras, à l’instant, une vie a passé,
Après un ou deux spasmes, son cœur s’est arrêté
Et j’ai senti son petit corps qui s’affaissait
Tandis qu’en un instant, la vie le désertait.

La veille au soir – on pense – il s’était égaré
Dans un tuyau d’aération mal ajouré.
Il était lors un moineau fort et vigoureux :
Une nuit a suffi, dans ce tube ténébreux,

Une nuit a suffi pour lui prendre la vie.
Pendant de longues heures, il chercha la sortie
Qui l’amènerait loin de ce désert de faim
De soif et de ténèbres, il a trouvé mes mains ;

Le sortant de ce meuble ou il gisait fourbu
Dans mes paumes doucement au chaud je l’ai tenu
Hélas ! Le temps qu’arrive la cage, l’eau et le blé,
En lui donnant à boire, je l’ai fait se noyer.

C’est aujourd’hui, princesse, qu’on fête la saint Jacinthe…
Qu’a fait cette demoiselle pour qu’on l’appelle « sainte » ?

L’on dit que cette jeune fille de la haute noblesse
Fâchait son pauvre père par ses frasques sans cesse ;
Qu’elle était vaine, fantasque, lunatique et frivole.
Son père, désespéré par toutes ses fariboles
La fit faire de force nonne dans un couvent.
Sa conduite scandalisa dix ans durant
L’esprit chaste et simplet des calmes franciscaines :
Les religieuses fuient les visites mondaines !
Mais au bout de dix ans, l’Esprit Saint, courroucé,
Fit tomber gravement malade la débauchée
Et cette maladie la secoua si fort
Qu’elle la fit réfléchir à ses fautes et ses torts.
Elle vécu dès lors vingt-cinq dernières années
Dans les grâces mystiques et dans la sainteté…

Et pour cela seulement l’on fit d’elle une sainte ?
Quelles différences entre elle et toi, jolie Jacinthe !
Pour avoir été calme – contrainte puis résignée –
L’Église chrétienne, bien soulagée, l’a sanctifiée.
Toi, ce titre de sainte ne te conviendrait pas :
Tu es parfaite ! C’est celui d’Ange qui t’échoit.