Je sors dans mon jardin, marcher : il fait si bon !
De suite, des bêtes se collent à mes pas vagabonds
« Serait-ce pas la jeune fille qui nous jette du blé ? »
Les poules, dans mon sillage, marchent, intéressées.

J’erre, je flâne à couvert de l’ombre des grands chênes
Dont les racines puissantes, couvertes de lichen,
Boivent à rendre infertiles des pans de terre arable
– Des poules à l’entour se baignent dans le sable –

Je m’étends au soleil, rêve sur un sol moussu,
Ferme à demi les yeux et ne discerne plus
Que des fleurs violettes et le bleu firmament…
Les poules à mes côtés paissent paisiblement.

Les bords de Loire sont parsemés d’étroits sentiers
Qui apaisent mon esprit comme un baume enchanté :
Au dessus de ma tête, la flore forme un berceau
Qui me cache aux regards ainsi un vert rideau ;

L’air léger est empli de diverses senteurs
Qui me grisent de leur enivrante fraîcheur.
Plus aucun bruit ne blesse mon ouïe endolorie
Que le murmure de l’eau, de tendres gazouillis.

En quelques lieux l’herbe et la mousse se font plus rares
Laissant lors apparaître des dalles, des remparts,
Des soupiraux obscurs et des berges pavées
Majestueuses reliques d’une grandeur passée…
Car le temps comme l’eau, coulant, ont englouti
L’œuvre humaine sous les végétaux épanouis.

Indifférent aux siècles qui transforment ses rives,
Le fleuve, inexorable, poursuit sa course vive ;
Dans un lit si tant vaste que son cours paraît lent,
La Loire s’offre aux yeux en miroir frissonnant ;
Les arbres qui la bordent se reflètent dans l’onde
Ainsi que du soleil la course vagabonde.

Au fil de ses méandres se lovent ou bien paressent
Des îles, des tourbillons aux impulsions traîtresses,
Qui font naître les vagues et maintiennent vivants
Des flots qui modifient leur lit continuellement :
Ce sont ces mutations par elles-mêmes engendrées
Qui transforment un cours d’eau en un être animé.

Nageant près de la berge redevenue sauvage,
Protégé par le fleuve et l’ombre des feuillages,
Un cygne se prélasse, semi dissimulé
Par des taillis fournis aux branches embaumées.

C’est mon anniversaire
– Vingt et un ans déjà –
Ce soir, qu’est-ce qu’on va faire ?
Aller au cinéma.

J’en ai pas très envie
Mais bon, on ne m’a pas
Demandé mon avis :
On va au cinéma.

Un bon petit dîner
Ensuite, on filera
– Il faudra se presser –
Tout droit au cinéma.

Ce sera mon cadeau
Ce petit souper-là :
Un moment de repos
Avant le cinéma.

C’est mon anniversaire,
Bientôt, on mangera ;
Et puis pour me complaire,
Ça s’ra le cinéma.

Des créatures des ténèbres m’ont adoptée,
Elles flottent autour de moi, me suivent pas à pas,
Fixent sur moi sans cesse leurs grands yeux embués,
Me couvrent de regards amoureux et béats.

Esprits chtoniens sans substance et sans consistance
Personne ne vous voit et nul ne vous entend,
Moi seule à mes côtés perçois votre présence,
Les yeux fermés je vois vos grands corps transparents,

Vos yeux pleins de besoin, brillants d’avidité,
Lacs de lumière intense décolorés et pâles
Qui seuls marquent la vie dans vos êtres éthérés ;
Vous proliférez dans mon espace vital :

Je vous suis précieuse – ma douleur vous nourrit,
Ma souffrance vous repaît et vous vous en gorgez –
Symbiose ultime ! Votre festin m’anesthésie,
Mon chagrin éternel, vous vous en rassasiez.

Femmes, méfiez-vous de l’homme né en avril :
À en être amoureuse, il y a grand péril ;
Il peut être charmant, épris et passionné,
Sa passion ne vivra pas jusqu’en été.

Car ce mois indécis d’hésiter n’a de cesse
Et ponctue le ciel clair de giboulées traîtresses.
Ainsi, l’enfant d’avril alterne joie et douleur
Puisqu’il a le soleil et la pluie dans le cœur.

Ses yeux sont du beau bleu du ciel ensoleillé
Il est parfait, ardent, comment ne pas l’aimer ?
Ange enchanteur, et tout en lui n’est que merveilles
– Et l’orage qui couvait en son sein se réveille –

Au-delà des clôtures qui bornent mon jardin
Le monde a disparu : il ne reste plus rien.
L’univers a – je crois – sombré dans le néant
Puisque ne m’entoure plus qu’un étroit dôme blanc.

Ce vide lumineux s’attaque à mon foyer
Il le ronge avec rage et sans discontinuer,
Ensevelit, patient, brin d’herbe après brin d’herbe,
Sous des flocons divers aux nervures superbes.

La neige a englouti mes arbres et mes prés,
La nature sous elle repose, inanimée,
Ciel et terre sont mêlés sous l’avalanche tendre
Des flocons qui sur terre ne cessent de se répandre.

Petite cloche fondue dans l’or
Dans un monde d’obscurité,
Sur le sable, ta robe étalée
Figure une rose en train d’éclore…

Qu’entrevoient donc tes yeux, dis-moi,
Dans ces ténèbres éternelles ?
Cette nuit froide et immortelle
S’illumine-t’elle quelques fois ?

Lors, quelles merveilles aperçois-tu ?
Des êtres de toutes les couleurs
Pareils à des milliers de fleurs
Font-ils vibrer ton cœur ému ?

Mais ne tremble-tu pas plutôt,
Pauvre petit Grimpoteuthis,
À cette lueur prédatrice
Qui sonne comme le glas dans l’eau ?

Ne t’alarme pas, petit être,
Ta robe et le sable se confondent,
Et puis, l’obscurité profonde
T’aura bientôt fait disparaître.

Petite Jacinthe à moi, ma chérie, tu es belle !
Toutes les perfections, tu les as, demoiselle !
Tes cheveux en cascade, brillants souples et sains
Te parent mieux que le plus beau voile de satin ;
Ils recouvrent avec grâce tes épaules graciles
Et adoucissent les courbes de ton mignon profil.
Les traits de ton visage et ta carnation
Comme les formes de ton corps frôlent la perfection ;
Tout ton physique enfin n’est qu’exquises splendeurs
Qui ne déparent en rien ton esprit enchanteur.

Je suis une déesse
Et du Feu la maîtresse ;
Je le domine, le ploie
Et le nourris de bois.
Selon ma volonté,
Il s’éteint, puis renaît,
Je le repais et lui
Me chauffe et me ravis.
Dans son contentement
Il ronronne en torrents
De fumée parfumée
Qui me laissent embaumée.

Lorsque la nuit s’en vient,
Je le laisse en déclin ;
Je plonge dans mon lit
Et, vite, m’assoupis
Avec autour de moi
L’odeur du feu de bois.

Je pars rejoindre ceux de mon sang – je vais skier.
Les rires et le bonheur m’attendent à Annecy
C’est ce que l’on m’a dit, mais je suis à Paris,
Le coeur serré ; la gare de Lyon me fait pleurer.

les pleurs coulent doucement le long de mes joues pales
Dont le rose est parti lorsqu’Il m’a délaissé;
Les larmes tombent en douceur mais sans discontinuer
C’est fou, penser à Lui fai toujours aussi mal.

La gare de Lyon je la connais bien à présent
Sur le quais maintes fois je suis venue l’attendre,
Ou l’ai accompagné, fidèle, aimante et tendre,
Pour orner son départ de quelques doux instants.

Chacun de ces recoins est plein de Son image
Tous ensemble ils m’insufflent une sourde douleur
Puisque penser à Lui brise à présent mon coeur;
Voir cette gare, c’est comme entrevoir son visage:

Je suis au désespoir. J’aurai du me méfier,
Je le savais qu’un homme n’aime jamais longtemps,
Que quand il dit « toujours », s’il le croit, il se ment.
Je roule vers Annecy et ne cesse de pleurer.