Petite demoiselle, je te vois dépérir :
Tu luttes à chaque instant pour ne pas t’endormir
Mais lorsqu’on te laisse seule, chétif être éreinté,
Languide tu t’appuies sur un lit, une chaise,
Tu ferme tes yeux las et s’envole ton malaise ;
Dans ton sommeil ainsi fuis la réalité.

Les heures durant lesquelles à contrecoeur tu veilles
Ton crâne est douloureux et ta pensé s’égaille.
Tu te traîne sans but. Toute ta volonté,
Toute ta force, ton caractère, ont disparu.
Soudain dans tout ton corps la fringale s’insinue
Qui assouvie te laisse en proie à la nausée.

Et tu voudrais hurler, t’enfuir, mordre, frapper,
Faire semblant d’être en vie – tu n’arrive qu’à pleurer –
Et tu voudrais guérir mais n’y parviens pas :
La fatigue te ronge, ta faiblesse te retient.
Petite demoiselle, je te connais trop bien,
Un instant de relâche et te voilà en moi.

Grand-Mère, Grand-Père qui êtes loin,
Si loin de ceux de votre sang,
Et qui vous reposez sereins ;
Où sont les mercredis d’antan ?

Ces doux déjeuners plantureux
Où les mets allaient abondants,
Chacun plus que l’autre délicieux…
Où sont les mercredis d’antan ?

Ces retrouvailles familiales
Où chacun a le cœur content
Auprès d’un cousin amical :
Où sont les mercredis d’antan ?

La Preste, rends-nous nos aïeux :
Le besoin s’en fait impérieux !
Que nous puissions rapidement
Revoir ces mercredis charmants.

Lorsque vivre fait mal, quand tout n’est que tourments,
Quand le cœur est brisé et la vie démolie,
Quand respirer fait poindre un brasier lancinant
Dans une âme et un corps d’où la joie est bannie,

On s’imagine que les tourments que l’on endure
Sont si cruels que quoi qu’on fasse au lendemain
La douleur sera moindre, tant l’instant nous torture ;
On croit toucher au paroxysme du chagrin.

On est lors – oh combien ! Loin de la vérité
Car au chagrin s’ajoute l’harassante faiblesse
Que pose sur nos épaules, sans cesse renouvelé,
Le poids toujours plus grand d’une lourde détresse.

Oui, demain sera pire de beaucoup qu’aujourd’hui !
Les nerfs à fleur de peau, les larmes, la nausée,
Les larmes encore qui coulent sur des joues pâlies,
Demain par la faiblesse se verront appuyés.

Ce normalien blond – Cédric – décidément
Est ravissant, exquis ; vraiment très séduisant.
Il est passé me voir et, gentil, m’a souri,
Je lui ai à mon tour souri, et j’ai rougi.

Il m’a parlé : longtemps dans mon crâne ont tourné
Ses paroles un peu douces – polies, ou enjôleuses ?
Je m’interroge encore et en reste rêveuse.
Mais crains en cet espoir naïf de m’abuser.

J’espérais, je l’avoue, pouvoir garder en tête
Une soirée peut-être l’éphémère amourette,
Afin que quelques heures mon cœur soit détourné
De l’homme que j’aime encore, et qui m’a désertée.

Rentrée chez moi, un tremblement m’a parcourue :
Car il était sur internet, mon bien aimé ;
Rapidement en moi l’image du blondinet
S’est estompée, a décru et a disparu.

Jours de concours ; je sèche misérablement.
L’épreuve de biologie, déjà, était ardue,
Mais pour celle de physique, ils ont été tordus :
De l’électricité – mon devoir reste blanc.

Les sciences, seule épreuve que j’avais travaillée,
S’avèrent trop complexes pour mon esprit débile
– Les plumes de mes voisins sur le papier filent –
Moi, l’électricité, pas la peine d’essayer.

J’ai essayé pourtant, mais échoué. J’en rage !
Le temps passe à la montre que tu m’as donné ;
Je pense à toi, Princesse, pour me réconforter.
Je n’aurais pas du croire en ce concours-mirage.

La terre sous mes pieds est couleur chocolat ;
Elle nourrit de son suc la nature qui verdoie.
Les moineaux dans le ciel qui volent, ébouriffés,
Paraissent des bouts de chocolat panachés.

Mais la couleur du chocolat évoque en moi
La tignasse superbe de mon adoré,
Sa crinière vigoureuse, douce comme la soie,
Sa peau chocolat blanc que j’aimais à manger.

Quand on a tué quelqu’un, quand on a pris une vie
Peut-on rester soi-même en appelant l’oubli ?
Ou bien pleure-t-on chaque minute, chaque seconde,
De se sentir souillé par ce forfait immonde ?

Moi je connais un homme, qui fut jeune jadis ;
On le fit militaire ; on l’envoya au front
Frapper et tuer sous les rafales dévastatrices
Des soldats inconnus qui gardaient leur nation.

Il en est revenu vivant – et silencieux.
Mais son regard jamais plus n’a croisé de glace
Et jamais plus n’a regardé les siens en face
De peur d’apercevoir son reflet dans leurs yeux.

Dans mes veines, mon sang s’embrase et me dévore,
Il enflamme mes os, infecte tout mon corps ;
Arrive à mon cerveau – siège de la pensée –
Le consume aussitôt et me laisse hébétée.
Ma gorge est du brasier l’autre lieu favori
J’avale, je bois, je pleure, rien n’éteint l’incendie ;
Au fond de mon gosier, un dépôt s’est formé
De glaire, qui m’étouffe, m’empêcher de respirer.
Oppressée, je suffoque ; la nuit, je me débats
Dans mon sommeil – et dans mes sécrétions me noie.

Par une chaude journée d’été
Mon corps s’élançant dans le vide
Et volant vers le sol aride…
Si c’était ça, la liberté ?

L’éclatement ensanglanté
De mes poumons et de mes os,
De ma chair et de mes boyaux,
Si c’était ça, la liberté ?

Mes restes bientôt nettoyés
Par les charognards, les vautours,
Et les animaux à l’entour :
Si c’était ça, la liberté ?

Un après tout d’obscurité,
Mon être enfin inexistant ;
Plus de peine, rien que le néant.
Si c’était ça, la liberté ?

Je crois bien que, cachée dans ma campagne aimée,
J’ai refusé de voir le monde évoluer.
Aujourd’hui, à nouveau, je traverse Paris
Et mes yeux n’y rencontrent que des visages gris.

Bercée par le vacarme du métropolitain
J’examine l’attitude de mes voisins ;
Ils gisent, apathiques et le regard vitreux,
Les uns contre les autres sans rien voir autour d’eux.

Leur visage est cireux, leurs traits inexpressifs,
Ils restent amorphes, cloîtrés en un silence passif,
Sans passion, sans âme, sur leur siège perclus
Sans haine, sans colère et sans amour non plus.

Ils semblent morts enfin, du moins ne vivent-ils pas,
Et leur proximité suscite mon effroi :
Spectres ou Zombies ? Leur souffle les a désertés
Les robots dont ils usent les ont contaminés.