Il m’a parlé, hier, celui que j’ai aimé
– Un long et sourd sanglot a couru tout mon corps –
Réagis, petit cœur, il n’est plus temps encore
De battre pour un homme qui t’as déjà brisé !

Il m’a dit désirer vivement me revoir
Et il a prétendu penser à moi souvent.
Comment puis-je savoir s’il dit vrai ou s’il ment ?
Je suis troublée, perdue, je ne sais plus que croire.

J’ai été ébranlée par ses tendres paroles
Et je lui ai parlé, et j’ai ri avec lui
Je lui ai montré qu’il serait bien accueilli,
Que dès qu’il me revient, je m’émeus et m’affole.

En l’absolvant ainsi, je n’ai fait que lui tendre
Et mon cou et la corde, avec son nœud coulant
Qui jà m’avait meurtrie il y a plus d’un an,
Qui pourra lui servir un jour proche à me pendre.

Les cieux sont gris, l’air n’est que pluie,
L’averse frappe à ma fenêtre ;
Elle se tarira peut-être
Lorsqu’elle aura noyé la nuit.

Chez toi, princesse, c’est l’été,
Le soleil t’éclaire, ange aimé.

Le soleil t’éclaire mais te brûle !
Il a caressé ta peau mate
Brunie mais toujours délicate
Qui a rougi sous sa férule.

La pluie, ici, ne blesse pas :
Viens te rétablir près de moi…

Il y a bientôt un an, ma vie s’était noyée
Dans les yeux et la voix et le parfum d’un homme ;
J’ai pansé ma douleur
J’ai consolé mon coeur
J’ai petit à petit enterré ce passé
Où la peine suppléa à la félicité
Qui m’avait enchaînée – enivrant opium !

J’ai visité le fond de l’insondable abysse
Des sentiments bafoués et des rêves brisés,
Des chimères où l’Amour
Aurait duré toujours,
En labourant sans fin mes larges cicatrices ;
Et j’ai jusqu’à la lie asséché le calice
Qu’à porté à mes lèvres celui que j’ai aimé.

Mais le temps a passé qui seul sait tout guérir
Et le calme et les larmes ont nettoyé mes plaies
Si longuement brûlées
Maintenant apaisées ;
Je sens des sentiments enfouis refleurir
Dans mon sein ravagé – et poindre le désir
De sentir sur ma joue un baiser indiscret.

Le brouillard est tombé
Au tout petit matin
De toute la journée,
Il n’a qu’enflé sans fin

Et je me suis perdue
Dans ce monde-fumée
Les arbres ont disparu
– Les aurait-on volé ?

On n’y voit à un mètre
Je distingue pourtant
Des formes sombres d’êtres
Qui m’entourent, rassurants.

De mes chênes éternels
S’est échappé un cri :
C’est la plainte irréelle
Que pousse un corbeau gris.

Une semaine sur deux, je le vois tous les jours
Avec son œil lubrique et sa bouche mouillée,
Sa paupière tombante, son haleine au café,
Et sa face malsaine d’escargot mort d’amour.

À chaque instant qui passe, on l’entend marmonner
Il grogne et il se plaint, il ronchonne tout seul,
Cliniquement inapte à fermer sa grande gueule,
Et puis, de temps en temps, il se met à crier.

Dès lors qu’il me reluque, il prend son air vicieux
Et me parle, excité, de sa maison, de lui,
De ses costumes Vuitton, ses parents, ses amis,
Sans jamais essuyer son affreux bec baveux.

Il me parle et me lorgne avec son œil dément
– À défaut de ses mains, ses regards me caressent –
On devrait l’enfermer ou lui mettre une laisse
À ce crétin, psychopathe concupiscent !

Les soirs de pleine lune, lorsque le ciel est clair,
L’esprit du vent apparaît aux yeux des mortels :
Les feux du satellite le gonflent de lumière ;
Opaque et alourdi, il succombe au sommeil.

Je l’ai vu cette nuit, fantôme scintillant,
Tout engourdi, au ras du sol il reposait ;
Frais esprit impalpable caché au sein d’un champ,
D’une verte prairie masquée par la forêt :

Inconscient des heures qui l’effleurent et comme ivre
Des lueurs célestes qui l’ont empli entier,
Il se repaît de cette clarté argentée ;

Demain matin il ne restera que le givre
Aux herbes qui l’auront toute la nuit bercé,
Qu’il aura effleurées de son souffle glacé.

À l’heure qu’il est, mon ange, tes beaux yeux sont fermés
Et tes cheveux s’étalent dessus ton oreiller ;
Un sourire, peut-être, s’est posé sur tes lèvres
Alors que ton esprit est la proie d’un beau rêve.

Les étoiles te bercent quand le soleil m’éclaire ;
Elles te veillent par les rideaux entrouverts,
Et lorsque tes yeux s’ouvrent, mes paupières déjà
Papillonnent et se ferment sous mon édredon froid.

J’ai celé en mon sang un tout petit secret
Et il coule à présent à jamais dans mes veines,
Plus il s’épanche en moi et plus j’ai de la peine ;
Je le soigne et le choie – tendre chagrin discret.

Je le sens qui s’élance, bondit dans mes artères,
Et, nourri de ma vie, croît et se multiplie,
Respire dans mon cœur et puis, quittant ce nid,
Transperce mes tissus pour infecter la chair.

Il provoque mes plaintes, se nourrit de mon deuil,
Et mes larmes amères l’abreuvent jour après jour ;
Mon sein s’est fait pour lui un délicat séjour :
À la fois douce couche et douloureux cercueil.

Adorable princesse dans ton île lointaine
La moitié de la terre te cache à mes regards ;
Ton absence, ange aimé, rend mes sourires hagards
Et me ronge sans cesse – implacable gangrène !

Un vide s’est créé juste à côté de moi :
C’est ta place que je garde, comme un gardien blessé,
Inlassable et fidèle mais déjà épuisé
D’une faction vaine qui le ploie et le broie.

Mais combien que j’en souffre, mais quel que soit ce vide,
Jamais au grand jamais ne rouvrirai mon cœur :
Jamais je n’aimerai une autre petite sœur.

Car si tu es partie, loin, sur un sol aride
Et si ta main ne repose plus sur mon bras,
Ton souvenir reste à jamais enfoui en moi.

Le travail me poursuit
Ne cesse de me traquer
Je voudrais m’arrêter,
Un instant m’absorber
– Laisser fuir mon esprit –
Dans les lignes pâlies
D’un de mes livres aimés.
J’ai envie d’y plonger
Fondre dans le papier,
Tout doucement roidie
Et ne plus respirer.