Au plus sombre de mes soirées
Il m’arrive de m’interroger
« Pourquoi penser à lui encore ?
Pourquoi depuis plus d’une année
Mon amour chaque instant m’éplore ? »

« Serait-ce la peur d’être seule
Qui me rendrait aussi bégueule ?
La terreur de finir mes jours
Aigrie, insignifiante et veule,
Abandonnée et sans amour ? »

« Ou alors est-ce que ma fierté
Me pousse à le récupérer
Moins par passion que par rage
Alors que ma flamme éreintée
Succombe sous l’effet de l’âge ? »

Mais je pense que simplement
J’ai trouvé mon prince charmant,
Ma souffrance, mon coup de foudre :
Que de ma vie il soit absent,
Je ne parviens à m’y résoudre.

Par ses rudes bourrasques, le vent a balayé
Des siècles de progrès : plus d’électricité.
Ma maison et la rue sont noires : plus de lumière
Que la pâle lueur de la lune d’hiver.

L’orage hurle en rafale au-dehors de ma chambre
– L’air jauni qui tournoie paraît un brouillard d’ambre –
La tourmente à ma vitre semble vouloir souffler
De ma faible bougie la flammèche agitée.

À l’aube, quand le jour point à peine,
Quand les rayons se glissent, fragiles,
Dans l’ombre des allées urbaines,
Dans les ruelles immobiles,
Désertes, alors, j’aime la ville.

Lors des après-midi de pluie,
Quand l’eau tombe du ciel hostile
Sur un asphalte qui rutile,
Quand l’air et le béton sont gris
Et vides ; alors, j’aime la ville.

Les heures où elle est délivrée
De son agitation fébrile,
De son perpétuel babil,
Lorsqu’elle paraît abandonnée,
Alors seulement j’aime la ville.

Je voudrais d’un doigt dans le vide
Tracer dans l’espace une issue,
Voir la distance enfin vaincue
Par une porte dans l’air fluide ;

Je voudrais tâter et pousser
Faire pivoter sur ses gonds
Pleine d’une inquiète émotion
La surface ainsi découpée,

Et je voudrais faire le pas
Qui traversant toute la terre,
De l’ombre jusqu’à la lumière,
M’amènerait auprès de toi.

Rompue par ton absence comme par ton silence :
Atroce solitude qui m’a toute brisée,
Pâle fantôme en larmes de ce que j’ai été
Hélas ma vie s’effrite, lente déliquescence,
Affliction sans fond, déchirement cruel,
Eternelle douleur à tout jamais ancrée,
La mort taira ma peine, inconstant Raphaël !

J’ai ta photo
Sur mon bureau,
Mon petit ange…
C’est si étrange :
S’être trouvées
Pour être autant
Tôt séparées
– Destin navrant –

J’ai ta photo
Sur mon bureau
Jolie chérie,
Tu m’y souris
Et cette vue
Panse mon coeur
Tout éperdu,
Petite sœur.

J’ai ta photo
Sur mon bureau
Petit amour,
Et pour toujours
Tu resteras
Dans mes pensées
Au fond de moi,
Princesse aimée.

L’atmosphère s’est emplie d’une brume nacrée,
Partout ou court le vent, elle s’installe et s’impose ;
Dans ses rets, la nature frisonne puis se repose :
L’hiver est dans les bois, l’hiver est dans les prés.

Lorsqu’il est en colère, son souffle se déchaîne
Et siffle, glacial, aux moribonds herbages ;
Il hurle sa fureur et ses sanglots de rage
Transpercent les os secs des chênes et des frênes.

Quand il a du chagrin, qu’il se sent esseulé,
Ses larmes en cascades ruissellent sur la terre :
Sa peine noie le sol, suinte sur les fougères ;
S’il est désespéré, il se met à neiger.

Mais lorsqu’il est serein, qu’il a le cœur content,
L’air se fait clair et pur et le vrai froid s’installe,
Pare les végétaux d’argent et de cristal
Et étend à l’entour son manteau scintillant.

Le brouillard cette nuit
Trouble et opacifie,
Masque les alentours.
Il est le blanc linceul
Bordé de lourds glaïeuls
De l’an qui pour toujours
Bientôt s’évanouira,
Englouti dans le froid
De l’hiver qui l’entoure.

J’ai pleuré cette année
La fuite de mon aimé
Qui m’a brisé le cœur ;
Son odeur et sa voix
Restent gravés en moi
– Ravivent la rancœur
Que me cause sa perte,
Mon futur qu’il déserte –
Éternelle douleur.

Le réveil dans le noir ; je me lève – il est tôt –
Je cueille mes affaires et file hors de la chambre,
Quelques pas et la vie reparaît dans mes membres,
Mes muscles s’électrisent et renaît mon cerveau.

Meung-sur-Loire ! C’est Noël ! Je m’habille et descends
Doucement, en silence, pour ne pas réveiller
Ma sœur encore lasse de sa folle soirée ;
Dans la salle à manger je trouve mes grands-parents.

La maisonnée s’éveille, la famille apparaît ;
Et si les corps sont lourds et les yeux embrumés
Tout ça disparaît vite à l’aide de café ;
Milieu de matinée : nous sommes au complet.

Pléthore de cadeaux décorent le sapin :
Les branches illuminées ont des paquets dessous
Et certains sont cachés – dedans, dessus, partout !
On les cherche, on les trouve et on les ouvre enfin.

Meung-sur-Loire, c’est Noël ! Un livre dans les bras
Pelotonnée au creux du canapé moelleux,
Près de la cheminée d’où me chauffe le feu
J’entends parler ceux de mon sang autour de moi.

La lune cette nuit s’est élevée sanglante
De derrière une forêt, toute proche et géante,
Et sa robe vermeil semblait une promesse
De désespoir en cette soirée de liesse.

La lune cette nuit, telle l’astre du jour,
À jeté sa lueur sur les champs à l’entour
Tellement rouge et pleine qu’elle semblait mimer
Une aurore précoce, un soleil meurtrier.

Et nous avons roulé, roulé, vers mes aïeux,
Pour passer la noël en famille, avec eux,
Dans un fleuve alourdi de véhicules bloqués
Par un impact survenu sur le bas-côté :

Deux véhicules, un choc, et des gens qui sont morts
Des pompiers qui espèrent de les sauver encore
Mais ne parviennent pas à pénétrer l’écrin
Ou gisent à présent des cadavres humains.

La lune cette nuit s’est levée purpurine
Pour célébrer les vies que le sort assassine,
Commémorer les âmes, chacune sans pareil,
Qui ne reverront pas se lever le soleil.