Author: Soune

Le temps s’est arrêté, je vis l’éternité
Dans la fraîche lueur du soleil hivernal ;
Autour de moi les corps se sont ténanisés :
Devant le bruit, la vie a déserté la salle
– J’ai mal –

Je sens fuir de mes membres les lames de mon sang :
Le flot impétueux et la rude chaleur
Rugissent dans mes veines et fouettent mes tympans
Le barrage fibreux exalte leur fureur
– Douleur –

Cessera-t-il jamais, l’immonde, de hurler ?
Fractionnant les instants de sa voix infernale,
Il lime mon esprit et brise ma pensée
De ses éclats constants, de ses cris en rafales
– J’ai mal –

Petit ange mignon
Je ne le savais pas
– Il y a des millions
De lustres de cela –
Que ton joli minois
Allait charmer mon cœur,
Que tu ferais de moi
Ton petit bout de sœur.

Tu as volé au loin
Mon âme en tes bagages
– Et bien souvent j’ai geint
De détresse et de rage –
Mais ton gracieux visage
Anime mon esprit,
M’insuffle le courage
Qui sans toi aurait fui.

Raides et pures, ses huit vibrisses
Surplombent ses yeux d’or vivant ;
À mon approche, elles frémissent
– Je crois ouïr un ronronnement –
Et les regards se font aimants.

Mon cadeau le plus beau, Ô l’ange de mon cœur,
Sera de te revoir l’été prochain j’espère ;
Je sentirai la joie de mon anniversaire
Quand j’aurai dans mes bras mon adorable sœur :

Petite Jacinthe,
Délicate fleur
– Clochettes qui tintent
Aux tendres couleurs
Penchée dans le pré,
Humant le ruisseau –
Te voir arriver
Sera mon cadeau.

Petite mélodie
De mon cœur qui se tord
Dans sa mélancolie
De peine et de remord ;

Ritournelle languide
De mon sang trop pesant
Dans mes veines turgides
Brûlant péniblement ;

Récital assourdi
Scandant chaque seconde
Ma poitrine meurtrie
Que la détresse inonde.

Jacinthe

Il est au jardin de mon cœur
Le plus joli des végétaux
La tige fine et sans défaut,
Les feuilles penchant en douceur
– Délicatement nervurées –
Jusqu’à un bulbe immaculé ;
Ses grappes de pâles clochettes
Tintent aux baisers du vent en fête…
Cette musique, et son arôme,
Et ces pétales gracieux
Qui délicatement m’embaument
Me le font entre tous précieux.

Les années ont passé : bientôt, mes vingt-trois ans,
Je suis une femme adulte, je le sais, je le sens :
De peines et de douleurs j’ai eu plus que ma part
L’expérience est venue avec le désespoir.

Pourtant, lorsque mes yeux se portent à mon reflet,
Je vois qui me regarde un jeune être fluet ;
Ses minces joues rosées, ses cheveux bruns qui vrillent
Et ses yeux clairs en font une petite fille.

Implanté dans le mur, l’immense disque écru
Egrène les instants qui s’éteignent sans cesse :
Chaque seconde enfuie à tout jamais s’est tue,
Le temps inexorable appelle la vieillesse ;
Dans l’espace éternel, je ne suis déjà plus.

Dans cet enfer brûlant de dunes continuelles,
Labyrinthe infini qui change au gré du vent
Et dont les infinies parcelles,
Monts d’un sable qui étincelle,
Sont chacune identique à celle gravie avant,

Tu es mon oasis, la source de mon âme,
Et je bois à longs traits ton visage charmant ;
Quand tu n’es là, ton souvenir est mon dictame.

Quand ma vie est gelée, farouche glacier
Aux crevasses sans fond où fleurit la tourmente,
Dont les arrêtes aiguisées
Lacèrent sans discontinuer
Ma chair transie et couverte de plaies fumantes,

Tu es le mur glacé me permettant enfin
De dormir à l’abri de la bise constante
Qui hurle en perpétrant son ballet aérien.

Dans le manoir désert qu’est ma prison sordide,
Bâtisse verrouillée aux fenêtres murées,
Où les tapisseries humides
Exhalent des relents putrides
Où les murs et les sols et les bois sont souillés,

Toi tu es le salon où s’embrasent les bûches
Et son fauteuil moelleux posté près du foyer
Où, un livre à la main, sereine, je me juche.

Lorsqu’ils voient les ruisseaux qui coulent à ses balafres,
Fluets filets humides rapidement taris,
Et les arbres malingres dans les herbes flétries
Qui brûlent sous un ciel éternellement safre,

Lorsque effleurant le sol de leurs mains desséchées
Ils sentent sous leurs doigts couler la poussière
Qui recouvre une terre dure comme du fer
Où la pluie quand elle vient ne peut pas s’infiltrer,

Ils s’exclament « terre ingrate ! quels que soient nos efforts,
Quoi que nous te donnions, ton sol reste infécond :
Nous t’abreuvons sans cesse, sans fin te labourons
Et, cruelle marâtre, tu ne fais rien éclore ! »

Et le vent dans les branches et les rus souterrains
Et les graviers roulant aux causses désertiques
Et les arbres étirant leurs rameaux arthritiques
Ricanent en bruissant leur incessant refrain.